Au moment où l’Église dit un dernier A-Dieu au pape émérite Benoît XVI, les instituts séculiers se joignent tout particulièrement à l’action de grâce de l’Église. Comment ne rendraient-ils pas grâce à Dieu pour les progrès considérables dans la compréhension de leur vocation qu’ils doivent à Benoît XVI ? Comment ne rendraient-ils pas grâce pour le véritable renouvellement que celui-ci a apporté ?
Notre vocation n’est reconnue que depuis peu par l’Église, puisque c’est en 1947 que le pape Pie XII promulguait la Constitution apostolique « Provida Mater Ecclesia » qui approuvait les instituts séculiers, donnant une reconnaissance officielle à leurs statuts. L’année 2022 est celle qui fait mémoire des 75 ans d’existence de notre vocation, et un message important du pape François en marquait l’anniversaire. Le chemin parcouru en 75 ans a été énorme. En 1947, Pie XII reconnaissait que l’intuition d’hommes ou de femmes qui s’étaient réunis en associations pour embrasser chacun et chacune la pratique des conseils évangéliques en vivant dans le monde, était don de Dieu pour l’Église et le monde. Ce mode de vie permettait de rejoindre ceux que l’Église avait plus de mal à toucher. Aujourd’hui, on peut mesure que cette reconnaissance avait d’autant plus de prix que la vision du monde portée par les documents de l’Église était souvent négative. Il faudra Vatican II pour changer ce regard.
Benoît XVI et la conception du rapport entre les instituts séculiers et le monde
C’est justement sur la compréhension de la rencontre entre les instituts séculiers et le monde que Benoît XVI, à la suite de Paul VI, va apporter un immense changement. Déjà, à propos du monde, après que Vatican II ait dit « le respect de son autonomie légitime, de ses valeurs et de ses choix » (Gaudium et Spes 36), Paul VI nous invitait à nous axer sur « la mise en oeuvre de toutes les possibilités chrétiennes et évangéliques cachées, mais déjà présentes et à l’oeuvre dans les choses du monde ». Il eut alors une expression qui devint célèbre pour décrire notre vocation : « S’ils demeurent fidèles à leur vocation propre, les instituts séculiers deviendront comme ‘le laboratoire d’expériences’ dans lequel l’Église vérifie les modalités concrètes de ses rapports avec le monde ». C’est dans le cadre d’un respect affiché pour certaines valeurs du monde que nous avons à nous situer. Mais Benoît XVI va aller encore plus loin en 2007.
…je dis que le lieu de votre apostolat est tout ce qui est humain, que ce soit au sein de la communauté chrétienne, ou dans la communauté civile, où la relation se réalise dans la recherche du bien commun, dans le dialogue avec tous, appelés à témoigner de cette anthropologie chrétienne qui constitue une proposition de sens dans une société désorientée et confuse par le climat multiculturel et multireligieux qui la caractérise. (Discours aux participants de la Conférence mondiale des instituts séculiers, 3 février 2007, § 7)
Le mot fort ici est dialogue. Vita consecrata (VC 97) évoquait déjà le dialogue des instituts avec la culture, mais ici, c’est la première fois que le Magistère appelle chacun des membres d’institut séculier à une relation avec d’autres, y compris les non-chrétiens, qui soit de l’ordre du dialogue, c’est-à-dire d’une véritable écoute de l’autre qu’on considère vraiment à égalité. Ajouter que nous voulons être ensemble dans la recherche du bien commun y insiste. Il y a là une nouveauté radicale dans l’expression de ce que peut être, ce que doit être notre relation au monde. Beaucoup d’entre nous le vivaient sans doute, aujourd’hui, avec Benoît XVI, non seulement nous y sommes encouragés mais cela nous est demandé.
Benoît XVI: instituts séculiers et mystère de l’Incarnation
Benoît XVI va plus loin encore. Dans son discours de 2007 aux participants de la Conférence mondiale des instituts séculiers, pour la première fois, nous entendons un pape définir notre vocation comme fondée sur le mystère de l’Incarnation :
Ce qui fait de votre insertion dans les événements humains un lieu théologique est le mystère de l’Incarnation (« Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique » Jn 3, 16). L’œuvre de salut s’est accomplie non pas en opposition, mais dans et à travers l’histoire des hommes. (Discours aux participants de la CMIS, 3 février 2007, § 3)
Dès les années 1978, le P. Jean Beyer, sj, qui a beaucoup accompagné les débuts des instituts séculiers, avait développé une réflexion sur le mystère de l’Incarnation donnant le sens de notre vocation, mais cela n’avait pas été véritablement repris. En 2007, avec Benoît XVI, cette conception qui donne une forme unique à notre vocation, est pour la première fois authentifiée par l’Église. Dix ans plus tard, en 2017, la Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée et les Sociétés de Vie Apostolique le développera dans un document adressé aux évêques sur notre vocation.
Faut-il s’étonner que cette reconnaissance intervienne en 2007, l’année où Joseph Ratzinger-Benoît XVI fait paraître le premier volume de son grand ouvrage Jésus de Nazareth…? Avant tout, Joseph Ratzinger aura passé sa vie à contempler Jésus le Christ venu parmi les hommes… Cela lui a donné une compréhension unique de notre vocation. Oui, les instituts séculiers rendent aujourd’hui grâce à Dieu.