Un an après la Constitution apostolique Provida Mater Ecclesia (l’Eglise Mère attentive) qui approuvait le statut général des instituts séculiers, voici Primo Feliciter. Le langage est marqué par son époque : aujourd’hui, nous parlons plus volontier d’ “ être dans le monde » que d’ “être dans le siècle” ! En outre, nous préférons regarder la “ beauté de la Création » (Benoît XVI) que d’évoquer un monde “fade et ténébreux”.
Se laisser arrêter par certains termes parce qu’ils ne sont plus les nôtres serait pourtant dommage, faisant manquer l’essentiel du texte, parce que son objet est justement d’insister sur ce qu’est le caractère spécifique aux instituts séculiers – être dans le monde – et d’en développer toutes les implications pour la compréhension de cette forme de vie consacrée et de son importance.

1.Une année s’est heureusement écoulée depuis la promulgation de Notre Constitution apostolique Provida Mater Ecclesia et au spectacle de la multitude de tant d’âmes cachées « avec le Christ en Dieu » [1] qui dans le siècle aspirent à la sainteté et « de grand cœur et de bon gré » [2], consacrent joyeusement toute leur vie à Dieu dans les nouveaux Instituts séculiers, Nous ne pouvons Nous empêcher de rendre grâce à la divine Bonté d’avoir suscité cette nouvelle phalange, venue renforcer l’armée de ceux qui pratiquent les conseils évangéliques au milieu du monde, comme aussi d’avoir accordé une aide puissante, qui en nos temps troublés et malheureux fortifie providentiellement l’apostolat catholique.

2. L’Esprit Saint, qui restaure et renouvelle constamment [3] la face de la terre désolée et ravagée chaque jour par tant et de si grands maux, a appelé à lui, par une grâce insigne et spéciale, un grand nombre de fils et de filles bien-aimés que Nous bénissons affectueusement dans le Seigneur, afin que, réunis et organisés dans des Instituts séculiers, ils soient, pour le monde fade et ténébreux dont ils ne sont pas [4] et au milieu duquel cependant ils doivent demeurer, en vertu d’une disposition divine, le sel qui ne fait pas défaut et qui, renouvelé par l’effet de la vocation, ne s’affadit pas [5]; la lumière qui brille parmi les ténèbres du monde lui-même et qui ne s’éteint pas [6]; le modeste, mais efficace ferment, qui agissant partout et toujours et mêlé à toutes les classes de citoyens, des plus infimes aux plus élevées, s’efforce de les atteindre et de les imprégner toutes et chacune, par l’exemple et de toutes façons, jusqu’à informer de telle sorte la masse tout entière qu’elle soit toute levée et transformée dans le Christ [7].

3. Afin que, pour la consolante effusion de cet Esprit de Jésus-Christ [8], tant d’Instituts, surgis partout, soient efficacement dirigés d’après les prescriptions de la Constitution apostolique Provida Mater Ecclesia, et produisent très abondamment ces excellents fruits de Sainteté qu’on espère d’eux; afin, aussi, que fermement et sagement organisés comme une armée [9], ils soient à même de lutter fortement dans les œuvres particulières et communes de l’apostolat, confirmant avec une grande joie la Constitution apostolique précitée, après mûre délibération, par Motu proprio, en toute connaissance de cause, et en vertu de la plénitude du pouvoir apostolique, Nous déclarons, décrétons et établissons ce qui suit:

L’introduction brosse un tableau extrêmement positif de la nouvelle vocation avec :
§ 2 : le rappel de ce qu’est l’appel fait à chaque membre d’un Institut séculier d’être sel, lumière et surtout levain dans la pâte du monde ; il est grandiose, allant jusqu’à la vision eschatologique

§ 3 : c’est dans cette perspective si positive que vont s’inscrire les dispositions de Primo Feliciter.

4. I. – Les Sociétés, ou associations de clercs ou de laïcs, pratiquant la perfection chrétienne dans le siècle, et paraissant posséder, d’une façon certaine et complète, les éléments et remplir les conditions qu’exige la Constitution apostolique Provida Mater Ecclesia, ne doivent ni ne peuvent être laissées arbitrairement, sous n’importe quel prétexte, parmi les Associations communes de fidèles (canons 684-725), mais il faut obligatoirement les amener et les élever à la nature et à la forme propre d’Instituts séculiers qui répondent parfaitement à leur caractère et à leur besoins.
§ 4 : La première décision du motu proprio dit d’abord l’estime et la confiance de l’Eglise envers cette nouvelle vocation : c’est parce qu’elle se révèle féconde qu’il faut que ce qui paraît posséder le caractère d’institut séculier relève de cette catégorie.

5. II. – Dans cette élévation des Associations de fidèles à la forme supérieure d’Instituts séculiers (cf. no. 1) et dans l’organisation aussi bien générale que particulière de tous les Instituts, il faut constamment avoir devant les yeux que le caractère propre et spécial des Instituts, c’est-à-dire le caractère séculier, en qui se trouve toute leur raison d’être, doit paraître en toutes choses. On ne doit rien retrancher à la parfaite profession de la perfection chrétienne, basée solidement sur les conseils évangéliques et véritablement religieuse quant à sa substance, mais cette perfection doit être réalisée et professée dans le siècle; en conséquence, il faut l’adapter à la vie séculière dans toutes les choses licites et compatibles avec les obligations et les œuvres de cette même perfection.

6. La vie tout entière des membres des Instituts séculiers consacrée à Dieu par le fait de professer la perfection, doit être convertie en apostolat; apostolat qui (inspiré) par la pureté d’intention, l’union intime avec Dieu, une courageuse abnégation et un généreux oubli de soi-même, doit être exercé constamment et saintement de telle sorte qu’il révèle l’esprit intérieur qui l’anime, autant qu’il le nourrit et le renouvelle sans cesse. Cet apostolat, qui embrasse toute la vie, se manifeste sans cesse de manière si profonde et si sincère dans ces Instituts, qu’avec l’aide et l’inspiration de la divine Providence, la soif des âmes et le zèle paraissent non seulement avoir heureusement fourni l’occasion de cette consécration de la vie, mais encore avoir imposé pour une bonne part (à ces Instituts) leur manière d’être et leur forme. Ainsi, de façon étonnante, la fin spécifique semble avoir exigé et créé la fin générique. Cet apostolat des Instituts séculiers doit être fidèlement exercé non seulement dans le siècle, mais aussi pour ainsi dire par le moyen du siècle, et par conséquent par des professions, des activités, des formes, dans des lieux, des circonstances répondant à cette condition séculière.

Voici maintenant le coeur du texte avec deux phrases qui seront souvent reprises pour expliquer notre vocation et qu’il faut méditer :

§ 5 : l’objectif du texte est d’affirmer le caractère propre et spécial des instituts séculiers : être dans le monde. Notons la force des termes utilisés: ce caractère est toute la raison d’être des IS et doit paraître en tout.

§ 6 : Il ne suffit pas d’être dans le monde, il faut aussi que la vie dans les IS se déroule par les moyens du monde. L’insistance de Pie XII met d’avance en garde contre la tentation qui consisterait à ramener cette vocation à la vie religieuse.

7.III. – Les prescriptions concernant la discipline canonique de l’état religieux ne conviennent pas aux Instituts séculiers et, en général, la législation relative aux religieux ne doit pas et ne peut, aux termes de la Constitution apostolique Provida Mater Ecclesia (art. 2. § 1), leur être appliquée. Par contre, les dispositions qu’on trouve dans les Instituts, cadrant harmonieusement avec leur caractère séculier, peuvent être conservées, à la condition qu’elles ne portent aucunement atteinte à la consécration parfaite de la vie tout entière et qu’elles s’accordent avec la Constitution Provida Mater Ecclesia.

§ 7 : on voit alors que cette vie demande des normes différentes de celles qui concerne la vie religieuse. En Primo feliciter, toutes les ouvertures paraissent possibles – ainsi qu’une liberté prodigieuse – si on garde en visée les finalités des instituts séculiers.

8.IV. – La constitution hiérarchique interdiocésaine et universelle, à la façon d’un corps organique, peut être appliquée aux Instituts séculiers (id. art. 9), et cette application doit, sans aucun doute, leur conférer une vigueur intérieure, une influence plus grande, plus efficace, et de la stabilité. Cependant, dans l’organisation qui doit être adaptée à chaque Institut, il faut tenir compte de la nature de la fin poursuivie par l’Institut, de son dessein d’expansion plus ou moins grande, de son évolution et de son degré de maturité, des circonstances dans lesquelles il se trouve et d’autres éléments du même genre. I1 ne faut pas rejeter ni mépriser les formes d’Instituts qui sont établies en confédération et qui veulent conserver et favoriser modérément le caractère local dans chaque nation, région, diocèse, à la condition qu’il soit légitime et imprégné du sens de la catholicité de l’Église.

§ 8 : les grands principes réaffirmés, ce qui domine ici est encore dans le registre de l’ouverture : ne pas risquer de fermer la porte à l’Esprit et aux besoins des époques ou des lieux.

9. V. – Les Instituts séculiers dont les membres, quoique vivant dans le monde, en raison cependant de la totale consécration à Dieu et aux âmes qu’ils professent avec l’approbation de l’Église et en raison de l’organisation hiérarchique interdiocésaine et universelle qu’ils peuvent avoir à des degrés divers, sont à bon droit, en vertu de la Constitution apostolique Provida Mater Ecclesia, classés parmi les états de perfection juridiquement organisés et reconnus par l’Église elle-même. C’est donc à dessein que ces Instituts ont été rattachés et confiés à la compétence et aux soins de la Sacrée Congrégation qui a la charge et la garde des états publics de perfection. En conséquence, tout en sauvegardant toujours, d’après la teneur des canons et les prescriptions expresses (art. 4, §§ 1 et 2) de la Constitution apostolique Provida Mater Ecclesia, les droits de la Sacrée Congrégation du Concile sur les pieuses sodalités et les pieuses unions de fidèles (can. 250, § 2) ceux de la Sacrée Congrégation de la Propagande concernant les Sociétés ecclésiastiques et Séminaires destinés au service des Missions (can. 252, § 3), Nous avons décrété que toutes les Sociétés de tous les pays – même pourvues de l’approbation épiscopale ou même pontificale, – reconnues comme réunissant les éléments et les conditions requises pour les Instituts séculiers, soient obligatoirement et tout de suite établies sous cette nouvelle forme, en conformité des normes énoncées ci-dessus (cf. no. 1), et, afin de sauvegarder l’unité de direction, qu’elles soient rattachées et confiées à la seule Sacrée Congrégation des Religieux, au sein de laquelle a été constitué un office spécial chargé des Instituts séculiers.

10. VI. – Nous recommandons paternellement aux dirigeants et assistants de l’Action catholique et des autres Associations de fidèles, dans le giron maternel desquelles sont formés à une vie intégralement chrétienne et en même temps initiés à la pratique de l’apostolat de si nombreux jeunes gens d’élite qui, invités par une vocation céleste, aspirent à une plus haute perfection, soit dans les Religions et Sociétés de vie commune, soit même dans les Instituts séculiers, de promouvoir généreusement ce genre de saintes vocations; comme aussi de prêter assistance non seulement aux Religieux et aux Sociétés religieuses, mais encore à ces Instituts véritablement providentiels, et, tout en sauvegardant leur propre discipline intérieure, d’utiliser leur concours.

11. En vertu de Notre autorité, Nous confions la fidèle exécution de toutes ces choses, que Nous décidons par Motu proprio, à la Sacrée Congrégation des Religieux et autres Sacrées Congrégations mentionnées ci-dessus, aux Ordinaires des lieux et aux directeurs de Sociétés que cela regarde, dans la mesure où elles concernent chacun d’eux.
Quant aux prescriptions que Nous édictons, par Motu proprio, dans les présentes lettres, Nous ordonnons qu’elles soient toujours fermes et valides, nonobstant toutes choses contraires.

Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 12 du mois de mars de l’an 1948, au début de la dixième année de Notre Pontificat.

Ces deux paragraphes pourraient paraître plus juridiques, leur importance est pourtant considérable
§ 9 : faire relever les instituts séculiers de ce qui est aujourd’hui devenu la CVCSVA (Congrégation pour la vie consacrée et les sociétés de vie apostolique), signifie que l’Eglise accepte de se porter garante de notre vocation : oui, ceux qui viennent dans un institut séculier peuvent y trouver une authentique voie de sainteté à la suite du Christ.

§ 10 : alors Pie XII peut encourager à promouvoir ce genre de vocation.